Vu de l’extérieur, c’est une femme qui brosse un cheval.
Lentement, avec application.
Je la vois fouiller longuement dans la boîte à brosses, hésiter entre les différentes textures, les tester avec sa main.
Les poils volent dans l’air, Lipzou est en pleine mue de printemps.
Elle se prête gentiment à l’exercice, broute en liberté dans le rond de longe, attentive, surveillant d’un oeil, patiente.
Cela dure longtemps.
Soudain la femme fronce les sourcils et s’arrête.
Quelque chose ne va pas.
Sur les jambes de Lipzou, impossible de décoller la boue séchée sans se servir de l’étrille.
Je sens que l’émotion monte chez elle.
Je demande quel est le problème : l’étrille est trop dure me dit-elle, je ne peux pas décoller la boue de sa peau sans lui faire mal.
Et voici la même histoire vue de l’intérieur.
Cette femme a eu un terrible accident de voiture voici quatre ans, la laissant en prise avec des douleurs persistantes sur tout le haut du corps, et surtout sur les bras qui sont devenus hypersensibles. Il est difficile pour elle de définir la frontière entre l’intérieur et l’extérieur de son corps, difficile de faire sa toilette quotidienne sans se faire mal.
La consigne que je lui ai donnée en début de séance est de prendre soin de Lipzou comme s’il s’agissait d’elle.
La voici dissociée, elle est elle et elle est Lipzou et elle doit composer avec ce nécessaire nettoyage, avec le fait de se servir de l’étrille car la boue résiste, avec le fait que ça va peut être faire mal.
Elle se laisse flotter dans ce dilemme, j’attends tranquillement, Lipzou accompagne de son » crounch crounch » hypnotique.
Finalement elle saisit l’étrille, s’accroupit près de Lipzou, s’en sert avec une extrême douceur, nettoie la boue en laissant couler ses larmes.
Vu de l’intérieur, c’est une reconstruction de ses frontières, un deal avec elle même, un moment très émouvant suspendu sur un fil, un instant de grâce.
A la fin elle s’arrête, se suspend au cou de Lipzou pour la remercier, intègre.
Me fait part de son désir de retrouver son bras gauche à la sensation perdue, sent que la voie du cheval est la bonne pour elle.
C’est juste une femme qui brosse un cheval, et c’est bien plus que cela: une séance de médiation équine , comme j’ai la chance d’en vivre tous les jours dans mon métier…
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